Les feuilles du feuilletage \(\mathcal{F}_{\lambda}\) de \(\mathbf{C}^2\)

Remarquons que l’origine \( (0,0) \) de \(\mathbf{C}^2\) est l’unique singularité du champ de vecteurs \(X_{\lambda}\). On considère l’équation différentielle linéaire

\[\dot{X} = X_{\lambda}\]

de condition initiale \( (x_0, y_0) \) dans \(\mathbf{C}^2\) ; la notation \(\dot{X}\) désigne la dérivée de \(X\) par rapport au paramètre complexe \(t\) que nous appellerons temps complexe de l’équation. Il est très facile de résoudre explicitement cette équation différentielle et on trouve, pour tout temps complexe \(t\),

\[x(t) = x_0 \text{e}^t \quad \text{et} \quad y(t) = y_0 \text{e}^{\lambda t}.\]

Bien entendu, si \( (x_0, y_0) = (0, 0) \),  l’unique solution de l’équation différentielle est la solution nulle en tout temps de fait de la singularité du champ de vecteurs \(X_{\lambda}\). Notons également deux autres solutions remarquables de l’équation, les axes de coordonnées \(\mathbf{C}^* \times \{0\}\) et \(\{0\} \times \mathbf{C}^*\) ; on obtient ces solutions pour n’importe quelles conditions initiales de la forme \( (x_0, 0) \) ou \( (0, y_0) \), avec \(x_0\) et \(y_0\) non nuls, comme conséquence du fait que l’exponentielle est une fonction surjective de \(\mathbf{C}\) sur \(\mathbf{C}^*\).

Lemme : Si \(x_0\) et \(y_0\) sont non nuls, la solution

\[t \in \mathbf{C} \longmapsto (x_0 \text{e}^t, y_0 \text{e}^{\lambda t}) \in \mathbf{C}^2\]

de l’équation différentielle \(\dot{X} = X_{\lambda}\) de condition initiale \( (x_0, y_0) \) est un biholomorphisme de \(\mathbf{C}\) sur son image.

Démonstration : Montrons que cette fonction est injective. En effet, si \(t\) et \(t’\) sont deux nombres complexes tels que

\[x_0 \text{e}^t = x_0 \text{e}^{t’} \quad \text{et} \quad y_0 \text{e}^{\lambda t} = y_0 \text{e}^{\lambda t’},\]

on déduit de la première équation que \(t-t’\) est un multiple de \(i \tau \mathbf{Z}\), et de la deuxième équation que \(t-t’\) est un multiple de \(i \frac{\tau}{\lambda} \mathbf{Z}\), ce qui est absurde si \(t \neq t’\) puisque \(\lambda\) n’est pas rationnel. L’unique point singulier de \(X_{\lambda}\) n’étant pas dans l’image de la solution considérée, le théorème d’inversion locale permet de conclure la démonstration du lemme. CQFD.

Résumé

Les solutions de l’équation différentielle linéaire ci-dessus définissent un feuilletage \(\mathcal{F}_{\lambda}\) de \(\mathbf{C}^2\) ayant une feuille singulière (l’origine de \(\mathbf{C}^2\)), deux feuilles \(\mathcal{F}_{\lambda}^1\) et \(\mathcal{F}_{\lambda}^2\) biholomorphes à \(\mathbf{C}^*\), et tel que toutes les autres feuilles sont biholomorphes à \(\mathbf{C}\).

La sphère de Riemann \(\mathbf{P}^1(\mathbf{C})\) est par définition le quotient de \(\mathbf{C}^{2,*}\) par l’action diagonale de \(\mathbf{C}^*\). Or nous avons vu que \(\{(0,0)\}\) est une feuille (singulière) de \(\mathcal{F}_{\lambda}\). En restriction à  \(\mathbf{C}^{2,*}\), \(\mathcal{F}_{\lambda}\) définit donc un feuilletage qui passe au quotient en un feuilletage de \(\mathbf{P}^1(\mathbf{C})\) du fait que \(X_{\lambda}\) est un champ de vecteurs linéaire (autrement dit homogène de degré 1).

Les feuilles \(\mathcal{F}_{\lambda}^1\) et \(\mathcal{F}_{\lambda}^2\) sont d’autant plus remarquables qu’elles sont en fait des orbites de l’action diagonale de \(\mathbf{C}^*\) sur \(\mathbf{C}^{2,*}\) : elles passent au quotient en deux feuilles singulières, les points \(S_1\) et \(S_2\). Toutes les autres feuilles de \(\mathcal{F}_{\lambda}\) se projettent sur la même et unique feuille \(F\) qui est n’est autre que \(\mathbf{P}^1(\mathbf{C}) \setminus S_1 \cup S_2\). En effet, notons \(\mathbf{P}^1(\mathbf{C}) = \mathbf{C} \cup \{\infty\}\) et \(\pi : \mathbf{C}^2 \setminus \{(0,0)\} \longrightarrow \mathbf{C} \cup \{\infty\}\) l’application de passage au quotient par l’action de \(\mathbf{C}^*\) définie par \( (x,y) \longmapsto y/x\). Avec ce choix de coordonnées sur la sphère de Riemann, on a \(S_1 = 0\), \(S_2 = \infty\). Soit \( (x_0, y_0) \) un point de \(\mathbf{C}^{2,*}\) et \(F_{(x_0, y_0)}\) la feuille de \(\mathcal{F}_{\lambda}\) passant par ce point. L’image \(\pi(F_{(x_0, y_0)})\) de \(F_{(x_0, y_0)}\) par \(\pi\) est égale à \(\{\frac{y_0}{x_0}\text{e}^{(\lambda-1)t} \, ; \, t \in \mathbf{C}\} = \mathbf{C}^*\) une fois encore du fait de la surjectivité de l’exponentielle, plus précisément de la fonction \(t \longmapsto \text{e}^{(\lambda-1)t}\) dans ce cas.

En restriction à \(F_{(x_0, y_0)}\), l’application \(\pi\) est un revêtement sur son image \(\mathbf{C}^*\) : c’est un même revêtement universel pour lequel on peut facilement décrire la fibre du point \(y_0/x_0\). D’après les calculs précédents, cette dernière est paramétrée par les nombres complexes \(t\) tels que \(\text{e}^{(\lambda-1) t} = 1\), c’est-à-dire par \(\frac{i \tau}{\lambda-1}\mathbf{Z}\). On retrouve ainsi que le groupe fondamental de \(F\) est isomorphe à \(\mathbf{Z}\). On remarque au passage que la paramétrisation ci-dessus est canonique, dans le sens qu’elle ne dépend pas explicitement du point \(y_0/x_0\) de \(\mathbf{C}^*\).

Résumé

En restriction à \(\mathbf{C}^2\) privé des axes de coordonnées, la projection \(\pi\) de passage au quotient par l’action diagonale de \(\mathbf{C}^*\) est une fibration sur \(\mathbf{C}^*\) de fibre \(\mathbf{C}^*\) qui, en restriction à chaque feuille du feuilletage \(\mathcal{F}_{\lambda}\) est un revêtement universel isomorphe au revêtement universel \(\mathbf{C} \longrightarrow \mathbf{C}^*\) donné par l’application exponentielle.