Les \textit{points réels} du plan projectif complexe sont par définition les points de \(\mathbf{P}_{\mathbf{C}}^2\) qui admettent un système de coordonnées homogènes réelles.
Parmi eux, on peut citer les points $P_x$, $P_y$ et $P_z$, ainsi que la singularité $S_0$ de coordonnées homogènes $[1:1:1]$ (qui est donc une feuille \og dégénérée \fg\ du feuilletage de Jouanolou).
L’ensemble des points réels est exactement le plan projectif réel \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\) en tant que sous-espace de \(\mathbf{P}_{\mathbf{C}}^2\).
On appelle \textit{feuille réelle} du feuilletage de Jouanolou dans \(\mathbf{P}_{\mathbf{C}}^2\) une feuille qui passe par au moins un point réel de \(\mathbf{P}_{\mathbf{C}}^2\).
En dehors de la singularité $S_0$, peut-on décrire l’espace des feuilles réelles ?
La restriction du feuilletage de Jouanolou à \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\)
Le champ de Jouanolou étant à coefficients réels, nous allons nous intéresser dans cette section à la restriction du feuilletage de Jouanolou au plan projectif réel \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\).
C’est un feuilletage par courbes réelles ayant pour unique singularité la singularité $S_0$.
\noindent
\textbf{Méthode pour dessiner ce feuilletage.}
Dans $\mathbf{R^3}$, on s’intéresse au champ
\[J_d – \frac{R \cdot J_d}{||\cdot||^2} R\]
\noindent
qui définit sur \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\) le même feuilletage que le champ $J_d$ et qui a la vertu d’être tangent à la sphère $\mathbf{S}^2$ dans $\mathbf{R}^3$.
La sphère $\mathbf{S}^2$ est un revêtement double de \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\).
Le plan projectif réel peut être identifié au demi-hémisphère contenant la singularité $S_0$ comme pôle nord et délimité par le plan équatorial d’équation $x+y+z=0$, à condition d’identifier deux points diamétralement opposés sur l’équateur.
Enfin, une projection orthogonale permet de se ramener à un disque dont les points du bord sont diamétralement opposés et dont le centre est l’image de la singularité $S_0$.
On obtient les images de la figure \ref{feuilletageJouanolouSphere}, selon le degré $d$ du feuilletage.
Le point noir central est $S_0$, les points rouge, bleu et vert sont respectivement les points $P_x$, $P_y$ et~$P_z$.
Sur ces figures, on remarque facilement l’action de la symétrie $S$.
On note également que les feuilles de la restriction du feuilletage de Jouanolou à \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\) sont toutes, à l’exception de la singularité $S_0$, des courbes réelles dont l’une des deux extrémités tend vers $S_0$.
En fait, suivant la parité du degré $d$, on peut préciser les choses.
Commençons par remarquer que le champ \(J_d – \frac{R \cdot J_d}{||\cdot||^2} R\) défini sur la sphère $\mathbf{S}^2$ passe au quotient dans le cas pair pour définir un champ de vecteurs sur \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\).
Les deux paires d’images de la figure \ref{versInfini} ci-dessous correspondent aux degrés 2 et~3.
On part des mêmes conditions initiales dans \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\) et on regarde la dynamique du feuilletage dans les deux directions vers l’infini.
\begin{itemize}
\renewcommand\labelitemi{$\bullet$}
\item Si $d$ est pair : les feuilles de la restriction du feuilletage de Jouanolou à \(\mathbf{P}_{\mathbf{R}}^2\) semblent toutes, à l’exception de la singularité $S_0$, des courbes réelles dont les extrémités tendent vers $S_0$ quand $t \rightarrow \pm\infty$ (l’adhérence de chaque feuille est topologiquement un cercle).
\item Si $d$ est impair : en plus de la singularité $S_0$, le cercle équatorial joue un rôle particulier puisque toutes les courbes réelles du feuilletage semblent avoir une extrémité qui tend vers $S_0$ alors que l’autre extrémité oscille au voisinage du cercle équatorial en l’intersectant régulièrement une infinité de fois (voir figure \ref{comportementCercleEquatorial} ci-dessous où l’on trace en fonction du temps la somme $x+y+z$ des coordonnées d’une trajectoire).
\end{itemize}
\begin{figure}[h]
\caption{Vers l’infini…}
\label{versInfini}
\vspace{0.5cm}
\begin{minipage}[c]{.45\linewidth}
\includegraphics[scale=0.25]{img/planProjectifReelTempsPositif_degre2.png}
\centerline{… dans une direction ($d=2$)}
\includegraphics[scale=0.25]{img/planProjectifReelTempsPositif_degre3.png}
\centerline{… dans une direction ($d=3$)}
\end{minipage} \hfill
\begin{minipage}[c]{.45\linewidth}
\includegraphics[scale=0.25]{img/planProjectifReelTempsNegatif_degre2.png}
\centerline{… dans l’autre direction ($d=2$)}
\includegraphics[scale=0.25]{img/planProjectifReelTempsNegatif_degre3.png}
\centerline{… dans l’autre direction ($d=3$)}
\end{minipage}
\end{figure}
\begin{figure}[h]
\caption{Comportement des trajectoires au voisinage du cercle équatorial ($d=3$)}
\label{comportementCercleEquatorial}
\centerline{\includegraphics[scale=0.4]{img/planProjectifReelCercleEquatorial_degre3.png}}
\end{figure}
Comme nous l’avons indiqué précédemment, en coordonnées homogènes, le plan équatorial est donné par l’équation cartésienne $x+y+z=0$.
Trois points du cercle équatorial jouent un rôle particulier : ce sont les points de coordonnées homogènes $[1:-1:0]$, $[-1:0:1]$ et $[0:1:-1]$ qui forment une orbite de $S$.
Nous allons démontrer qu’en degré $d$ impair le champ de vecteurs \(J_d – \frac{R \cdot J_d}{||\cdot||^2} R\) est tangent au plan équatorial en ces trois points.
En effet, on a
\[x^d+y^d=(x+y)\sum_{k=0}^{d-1}(-1)^k y^k x^{d-1-k}.\]
Puisque $z=-(x+y)$ dans le plan équatorial, la formule du binôme de Newton permet d’écrire
\[x^d+y^d+z^d=(x+y)\sum_{k=0}^{d-1}((-1)^k-\text{C}_{d-1}^k) y^k x^{d-1-k}.\]
La somme ci-dessus est tout aussi bien indexée par $k$ variant entre $1$ et $d-2$, ce qui permet de factoriser $xy$ de la somme et d’écrire, en utilisant une fois encore le fait que $z=-(x+y)$,
\[x^d+y^d+z^d=xyz\sum_{k=1}^{d-2}(\text{C}_{d-1}^k-(-1)^k) y^{k-1} x^{d-2-k}.\]
Or la somme \(x^d+y^d+z^d\) est égale au produit scalaire de notre champ de vecteurs par le vecteur de coordonnées $(1,1,1)$ qui dirige la normale au plan équatorial, ce qui termine la démonstration.
\noindent
\textbf{Question :}
Peut-on mieux comprendre la dynamique du champ de vecteurs dans le cas impair au voisinage du cercle équatorial ?
A-t-elle un rapport avec le flot de Cherry (référence intéressante : \url{http://algant.eu/documents/theses/palmisano.pdf}) ?