On s’int\’eresse ici \`a la dynamique du feuilletage de Jouanolou dans le domaine r\’eel. Rappelons qu’il s’agit du feuilletage de $\mathbb P^2(\mathbb R)$ d\’efini par le champ homog\`ene $J_d = y^d \frac{\partial}{\partial x} + z^d \frac{\partial}{\partial y}+ x^d \frac{\partial}{\partial z}$. Il admet une unique singularit\’e r\’eelle situ\’ee au point $s= [1:1:1]$ qui est lin\’earisable de valeurs propres complexes conjugu\’ees~: en particulier, dans les coordonn\’ees lin\’earisantes au voisinage de $s$, les feuilles sont des spirales.
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{\bf Conjecture r\’eelle :} \textit{Si $d$ est pair, le feuilletage de Jouanolou n’est pas orientable, et toutes ses feuilles tendent vers $s$ \`a l’infini dans chaque direction. Si $d$ est impair, le feuilletage de Jouanolou admet une unique orbite p\’eriodique $\gamma$, et on peut munir le feuilletage d’une orientation de sorte que toute feuille a pour $\omega$-limite $s$ et $\alpha$-limite $\gamma$.}
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Nous allons \’etablir cette conjecture en supposant qu’une autre conjecture est vraie pour la complexification de l’\’equation de Jouanalou.
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{\bf Conjecture complexe :} \textit{Le pseudo-minimal $\mathcal M$ de l’\’equation de Jouanolou dans le domaine complexe est transversalement un ensemble de Cantor, chaque feuille \`a l’ext\’erieur de $\mathcal M$ est biholomorphe au disque unit\’e, et intersecte la surface de Bogomolov d\’efinie par
$$ B = \mathbb P \{ x \overline{y}^d + y \overline{z}^d + z \overline{x}^d = 0 \}$$
en exactement un point. }
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Cette derni\`ere d\’ecoule d’une conjecture encore plus g\’en\’erale qui pr\’edit la topologie de l’espace des phases de l’\’equation de Jouanolou dans le domaine complexe.
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Supposons dor\’enavant que la conjecture complexe est satisfaite, et montrons que la conjecture r\’eelle l’est \’egalement.
Soit $U=\mathbb P^2(\mathbb R) \setminus \overline{\mathcal M}$. Il s’agit d’un ouvert satur\’e par le feuilletage de Jouanolou. Les complexifications des trajectoires de $U$ intersectent $B$ en un unique point, par la conjecture complexe, et comme elles sont globalement invariantes par l’involution $[x:y:z]\mapsto [\overline{x}:\overline{y}:\overline{z}]$, ce point d’intersection doit aussi \^etre r\’eel. De plus, comme une involution anti-holomorphe du disque unit\’e est conjugu\’ee \`a $z\mapsto \overline{z}$, l’ensemble des points d’intersection d’une feuille complexe de $\mathcal M^c$ avec $\mathbb P^2(\mathbb R)$ est form\’e par une feuille r\’eelle (i.e. est connexe). On a donc d\’emontr\’e que : \textit{ $B(\mathbb R)= B \cap \mathbb P^2(\mathbb R)$ est une transversale \`a $U$, c’est \`a dire que toute trajectoire de $U$ intersecte $B(\mathbb R)$ en un unique point.} En d’autres termes, $U$ est un fibr\’e en intervalles au dessus de $B(\mathbb R)$.
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Or l’ensemble $B(\mathbb R)$ est la courbe alg\’ebrique d’\’equation
$$ xy^d + yz^d + z x^d = 0$$
et il semble qu’elle soit form\’ee d’un unique ovale.\marginpar{comment on d\’emontre qu’elle n’a qu’un unique ovale?} Par cons\’equent, l’ensemble $U$ est un fibr\’e au dessus du cercle en intervalle~: il s’agit d’un anneau ou d’une bande de Moebius. Il est en particulier connexe. Or, d’apr\`es la conjecture complexe, $\mathcal M$ est transversalement un ensemble de Cantor, ce qui montre que $\mathbb P^2 (\mathbb R) \cap \overline{\mathcal M}$ est un ferm\’e satur\’e de $\mathbb P^2(\mathbb R) \setminus \{ s\}$ qui est transversalement totalement discontinu. Du coup, l’ouvert $U$ est dense.
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Supposons maintenant que le feuilletage de Jouanolou poss\`ede une feuille ferm\’ee $\gamma$. Alors deux configurations se pr\’esentent, suivant que $\gamma$ s\’epare $\mathbb P^2(\mathbb R)$ en deux composantes ou non. Dans le premier cas, $U$ doit intersecter chacune des composantes de $\mathbb P^2(\mathbb R)\setminus \gamma$, par densit\’e. Du coup, $U$ admet au moins deux composantes connexes, chacune dans une composante de $\mathbb P^2(\mathbb R) \setminus \gamma$, ce qui est contradictoire. On obtient donc que $\gamma$ est non s\’eparante. En particulier, $\gamma$ est non homologiquement triviale (en homologie modulo $2$) et ceci montre qu’il ne peut y avoir au plus qu’une feuille ferm\’ee.
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Relevons le feuilletage de Jouanolou sur la sph\`ere $\mathbb S^2$, par le rev\^etement double $\mathbb S^2 \rightarrow \mathbb P^2(\mathbb R)$ dont le groupe de Galois agit via l’antipodie $p\mapsto -p$. Ce feuilletage peut \^etre d\’efini par le champ de vecteurs sur $\mathbb S^2\subset \mathbb R^3$
$$ p\in \mathbb S^2 \mapsto V(p) = J_ d (p) – ( J_d (p) \cdot p ) p \in \mathbb R^3 .$$
On a $V(-p ) = (-1) ^d V(p)$, ce qui montre que le champ de vecteurs passe au quotient en un champ de vecteurs $W$ sur $\mathbb P^2(\mathbb R)$ ssi $d$ est impair. Sinon, le feuilletage de Jouanolou sur $\mathbb P^2(\mathbb R)$ n’est pas orientable.
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Supposons que $d$ est impair. Nous \’etablissons dans ce cas qu’il existe bien une orbite p\’eriodique pour le champ $W$. Quitte \`a changer le signe de $W$, nous pouvons supposer que les trajectoires issues d’un point suffisamment proche de $s$ ont $s$ pour $\omega$-limite. Prenons l’une de ces trajectoires, et consid\’erons son $\alpha$-limite. Cet ensemble ne peut contenir de singularit\’e, puique $s$ est l’unique singularit\’e du feuilletage, et qu’il s’agit d’un puit. Le th\’eor\`eme de Poincar\’e Bendixson affirme alors que l’$\alpha$-limite est une orbite p\’eriodique, ce qui \’etablit notre \’enonc\’e. En fait, nous avons que toutes les trajectories ayant pour $\omega$-limite $s$ ont pour $\alpha$ la m\^eme orbite p\’eriodique $\gamma$, et que cette derni\`ere est non s\’eparante. En particulier, nous avons d\’ecrit tout le plan projectif $\mathbb P^2(\mathbb R)$ de cette fa\c{c}on, et la conjecture r\’eelle est d\’emontr\’ee dans ce cas.
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Supposons maintenant $d$ pair. Nous pr\’etendons que dans ce cas il n’existe aucune feuille ferm\’ee. En effet, supposons le contraire et notons $\gamma$ une feuille ferm\’ee. Comme $\gamma$ est homologiquement non triviale modulo $2$, elle se rel\`eve \`a la sph\`ere $\mathbb S^2$ en une courbe ferm\’ee simple $\tilde{\gamma}$ invariante par l’involution $p \mapsto -p$. Le champ de vecteur $V$ est tangent \`a $\tilde{\gamma}$ et v\’erifie $V(-p) = V(p)$. Mais ceci est impossible sans que $V$ ne s’annule sur $\tilde{\gamma}$. Il n’y a donc aucune feuille ferm\’ee. Pour conclure, il nous suffit d’appliquer le th\’eor\`eme de Poincar\’e Bendixson, selon lequel toute trajectoire doit s’accumuler dans les deux directions sur la singularit\’e (et donc tendre vers elle car c’est un puit) sans quoi son ensemble limite contiendrait une courbe ferm\’ee simple. cqfd
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{\bf Remarque :} supposons que l’on ait un feuilletage alg\’ebrique r\’eel $\mathcal F $ de $\mathbb P^2 (\mathbb R)$ de degr\’e $d$ dont la complexification $\mathcal F_{\mathbb C}$ ait les propri\’et\’es suivantes~:
\begin{enumerate}
\item $\mathcal F_{\mathbb C}$ admet un unique pseudo-minimal $\mathcal M$ qui est transversalement Cantor
\item le feuilletage $\mathcal F_{\mathbb C}$ en restriction \`a $\mathcal M ^c$ est une fibration en disques au dessus d’une surface compacte $B$
\end{enumerate}
Un exemple de feuilletage ayant ces propri\’et\’es est l’\’equation de Jouano\-lou et ses perturbations, comme le pr\’edit notre conjecture complexe. Comme $\mathcal M$ est transversalement Cantor, l’ext\’erieur de $\mathcal M$ est connexe, ce qui montre que $B$ est \’egalement connexe. Dans le document Jouanolou-Klein, Proposition 0.1, nous montrons que $B$ est soit une courbe elliptique, soit une surface de Riemann de genre $g= d (d+1) /2$. L’involution anti-holomorphe $[x:y:z]\mapsto [\overline{x} : \overline{y}: \overline{z}]$ pr\’eserve $\mathcal F_{\mathbb C}$ et par cons\’equent $\mathcal M^c$~; elle induit donc une involution anti-holomorphe $i$ de $B$. On note $B(\mathbb R)$ les points fixes de $i$~: la d\’emonstration de Klein du th\’eor\`eme de Harnack montre que le nombre de composantes connexes de $B(\mathbb R)$ est major\’e par $g+1$. Le m\^eme raisonnement que celui d\’evelopp\’e plus haut montre que l’ouvert $U = \mathbb P^2(\mathbb R) \setminus \mathcal M$ est dense dans $\mathbb P^2(\mathbb R)$, et que c’est un fibr\’e en intervalles sur $B(\mathbb R)$. En particulier, le nombre de composantes connexes de $U$ est major\’e par $g+1$. Observons maintenant que si l’on a $r$ orbites p\’eriodiques disjointes de $\mathcal F$, alors elles d\’ecoupent $\mathbb P^2(\mathbb R)$ en au moins $r$ composantes connexes. De plus, si elles sont toutes non homologues \`a z\’ero comme c’est le cas en degr\’e pair, alors elles d\’ecoupent $\mathbb P^2(\mathbb R)$ en $r+1$ composantes connexes. Chacune de ces composantes seront intersect\’ees par $U$, ce qui montre que l’on a l’in\’egalit\’e $r \leq g+1$ en degr\’e impair, et $r\leq g$ en degr\’e pair. Par exemple, pour $d= 2$, on obtient l’in\’egalit\’e $r\leq 3$. Notons que Song Ling Shi \footnote{A concrete example of the existence of four limit cycles for plane quadratic systems, Sci. Sinica 23 (1980)} a trouv\’e des exemples de feuilletages de degr\’e deux avec quatres cycles limites. Les complexifications de ces feuilletages n’ont donc pas les propri\’et\’es (1) et (2). Il est possible que si un feuilletage alg\’ebrique r\’eel de degr\’e deux admet au moins quatres cycles limites comme dans les exemples de Song Ling Shi, alors son complexifi\’e a toutes ses feuilles denses dans $\mathbb P^2(\mathbb C)$.