Feuilletage de Ghys Hector

 

Cet article est destiné à la construction d’un feuilletage transversalement affine de codimension un d’une variété fermée de dimension trois, qui admet un minimal exceptionnel. La construction est dûe à Ghys et Hector, et répond à un problème qui avait été posé par Godbillon ; elle nous a été communiquée par Gaël Meignez.

Le feuilletage cherché comporte deux « blocs », que l’on recolle le long d’une surface de genre deux. Chaque bloc est une variété lisse de dimension 3 à bord et à coin, munie d’un feuilletage transversalement affine de codimension 1. Le premier bloc contient dans son intérieur un minimal exceptionnel.

Construction du premier bloc. 

Soit \(0< \lambda < 1/2\) un paramètre. On note \(I\) l’intervalle d’extrémités \( \pm \frac{1}{ 1-\lambda} \). Ce dernier est stable par le système d’itération défini par les deux applications

\[  h_{\pm} : x \mapsto \lambda x \pm 1 . \]

L’ensemble limite de ce système d’itération est un Cantor \(\Lambda \subset I \), défini par

\[ \Lambda = \bigcap_{n\in \mathbb N^{>0}}  \bigcup_{\varepsilon_1,\ldots,\varepsilon_n = \pm 1} h_{\varepsilon_1} \circ \ldots \circ h_{\varepsilon_n} (I) .\]

Il peut également être caractérisé par les deux propriétés suivantes : toute orbite du semi-groupe engendré par les applications \(h_{\pm} \) contient \(\Lambda\) dans son adhérence, et les orbites contenues dans \(\Lambda\) sont denses dans \(\Lambda\).

Considérons maintenant un pantalon \(\Pi\), c’est à dire une surface compacte difféomorphe à une sphère privée de trois disques ouverts. On note \(\partial _{\pm} \Pi\) et \( \partial _{ext} \Pi \) ses trois composantes de bord (deux intérieures et une extérieure). Identifions le bord de \(\Pi \times I \) par la relation

\[ \partial _\pm \Pi \times I \sim \partial _{ext}\Pi  \times h_\pm (I) , \]

définie par des difféomorphismes de la forme \(\varphi_\pm \times h_\pm\), où \(\varphi_\pm\) est un difféomorphisme de \(\partial _\pm\Pi\) dans \(\partial _{ext}\Pi\) qui renverse l’orientation. On obtient une \(3\)-variété \(B\) à bord et à coin, compacte, qui est équipée d’un feuilletage transversalement affine \(\mathcal F\) : le quotient du feuilletage horizontal de \(\Pi \times I \) par pantalons. Ce dernier feuilletage contient un minimal exceptionnel contenu dans l’intérieur de \( B\)  : il s’agit du quotient de \(\Pi \times \Lambda\) par la relation définissant \(B\).

Examinons la structure du bord de \(B\). Topologiquement, il s’agit d’une surface de genre deux. Elle est obtenue en recollant les deux tores troués

\[ T_{\pm } := \Pi \times \{ \pm \frac{1}{1-\lambda}\} /  \sim \]

avec l’anneau

\[ A = \partial _{ext} \Pi \times \left( I \setminus ( h_-(I) \cup h_+ (I)) \right). \]

Les coins de \( B \) sont les deux courbes de bord de ces domaines.  L’intérieur de l’anneau \( A\) est transverse à \(\mathcal F\) (ce dernier induit sur \(A\) une fibration en cercles), mais les intérieurs des domaines \(T_{\pm} \) sont tangents à \(\mathcal F\). Au voisinage d’un point d’une de ces courbes de coin, le bloc \(B\) est difféomorphe à l’espace \(\mathbb R^3\) auquel on a enlevé le quart d’espace \( \mathbb R\times \mathbb R^{>0} \times \mathbb R^{>0} \), et le feuilletage est le feuilletage horizontal. Dans ces coordonnées, la courbe de coin est donnée par \(\mathbb R \times (0,0)\).

Examinons pour conclure la représentation d’holonomie sur chaque tore troué \(T_{\pm} \). Les groupes fondamentaux de ces tores sont des groupes librement engendrés par deux éléments. Si l’on considère le cas du tore \( T_+ \) par exemple, et que l’on choisit pour point base un certain point \(p_+\) de \(\partial_{ext} \Pi \times \{\frac{1}{1-\lambda}\}\), on constate que l’un des générateurs \(\alpha_+\) de \(\pi _1(T_+, p_+)\) est la courbe \(\partial _{ext}\Pi \times \{\frac{1}{1-\lambda}\} \), et l’autre est l’élément \(\beta_+\) représenté par la courbe de \(\Pi\times \{\frac{1}{1-\lambda}\}\) reliant \(p_+\) à \( (\varphi_{\pm} \times h_+) (p_+)\). Par construction, la représentation d’holonomie \( hol: \pi_1(T_+, p_+) \rightarrow Aff_+(\mathbb R, 0) \) est alors donnée par

\[  hol( \alpha_+) = id \text{ et } hol (\beta_+ ) = (x\mapsto \lambda x) .\]

Construction du second bloc 

Considérons un feuilletage transversalement affine et transversalement orienté \(\mathcal G\) sur une variété de dimension \(3\) fermée, et supposons qu’il existe une courbe transverse orientée \(c\)  dont l’holonomie (vis à vis de la structure affine transverse à \(\mathcal G\) ) est une transformation affine de dérivée \(1/\lambda\). Cette transformation est donc conjuguée à la transformation \( x\mapsto  x/\lambda\), et la structure affine sur cette courbe est le quotient de \( (0,+\infty) \) par la multiplication par \(1/\lambda\) (ceci résulte du fait que l’holonomie d’une structure affine sur un cercle détermine complètement la structure).

Supposons également qu’il existe une autre courbe \( c’ \), transverse à \(\mathcal G\), mais disjointe de \(c\), et dont l’holonomie vis à vis de la structure affine transverse de \(\mathcal G\) est une transformation affine de dérivée \(\lambda \). La structure affine induite par le feuilletage est cette fois-ci  le quotient   de \( (-\infty, 0) \) par la multiplication par \( \lambda \).

Considérons maintenant les composantes de Reeb \(\mathcal R\) et \(\mathcal R’ \) définies par les quotients

\[ \left( \mathbb R^2 \times [ 0, +\infty ) \setminus (0,0,0)  \right) / (x,y,z) \sim (x/\lambda, y/\lambda, z/\lambda) \]

et

\[ \left( \mathbb R^2 \times ( -\infty , 0] \setminus (0,0,0) \right) / (x,y,z) \sim (\lambda x, \lambda y, \lambda z) \]

munis des quotients du feuilletage horizontal. Il s’agit de feuilletages transversalement affines et transversalement orientés. Les courbes

\[ r = \{0\} \times \{0\} \times (0, +\infty) \backslash \ (0,0,z) \sim (0, 0, z/\lambda)\]

et

\[ r’= \{0\} \times \{0\} \times (-\infty,0) / \ (0,0,z) \sim (0, 0, \lambda z)\]

sont respectivement transverses à \(\mathcal R\) et \(\mathcal R’\) et affinement équivalentes aux courbes \(c\) et \(c’\). On peut donc ôter des voisinages tubulaires de \( c\) et \(r\) et recoller les bords de ces voisinages par un difféomorphisme qui respecte les feuilletages par cercles induits par \(\mathcal G\) et \(\mathcal R\) respectivement, ainsi que la structure transverse affine et l’orientation transverse (mais on demande à ce que l’orientation le long des feuilles soit renversée de manière à construire un feuilletage orienté). On fait de même avec \(c’\) et \(r’\). Cette procédure est appelée le tourbillonnement de Reeb.

On obtient un feuilletage \( \mathcal H\) d’une variété compacte \(N\), qui est transversalement affine, et qui admet pour bord deux feuilles toriques, l’une avec l’orientation transverse sortante, et l’autre avec l’orientation transverse rentrante. L’holonomie sur ces deux tores est donnée par la représentation qui envoie l’un des générateurs du groupe fondamental sur l’identité, et l’autre sur la transformation affine \( x\mapsto \lambda x\) (on peut supposer que ces deux générateurs s’intersectent positivement qui à inverser celui dont l’holonomie est l’identité).

Supposons de surcroît que le feuilletage \( \mathcal G\) ait des feuilles denses. Dans ce cas, il en est de même du feuilletage \( \mathcal H\), et il existe donc un chemin transverse à \(\mathcal H\) qui part de la feuille du bord rentrante et termine à la feuille du bord sortante. Enlevons un petit voisinage tubulaire de ce chemin. Nous obtenons une variété de dimension \(3\) compacte à bord et à coin. Le bord est une surface de genre \(2\) formée de trois partie :

  • deux tores privés d’un disque, chacun tangent au feuilletage, et sur lesquels la représentation d’holonomie est la même que celle sur les tores \( T_\pm\) construit sur le premier bloc.
  • un anneau transverse au feuilletage, et sur lequel ce dernier induit une fibration en cercles.

Les coins sont les deux courbes où se recollent l’anneau aux tores troués. Ils admettent des voisinages localement difféomorphes au produit d’un anneau par un intervalle semi-fermé, les feuilles du feuilletage étant les anneaux horizontaux dans ces coordonnées.

Recollement

On recolle le premier bloc au second bloc en utilisant un difféomorphisme entre leur bord qui préserve l’orientation des feuilles et la représentation d’holonomie sur les tores, et qui est transversalement affine en restriction aux anneaux transverses. On obtient de cette façon un feuilletage transversalement affine d’une \(3\)-variété fermée qui admet un minimal exceptionnel (contenu dans le premier bloc).

Conclusion

Pour achever la construction, il suffit donc d’expliquer comment on construit un feuilletage \(\mathcal G\) transversalement affine sur une \(3\)-variété fermée, dont toutes les feuilles sont denses, et qui admet deux courbes transverses \(c\) et \(c’\) comme avant.

Pour cela, considérons un tore \( \mathbb T^3 = \mathbb R^3 / \mathbb Z^3\) équippé d’un feuilletage irrationnel \(\mathcal I\) de codimension \(1\) dont la distribution tangente est définie par le noyau d’une forme fermée du type

\[ \omega = dx + \lambda dy + \mu dz \]

où \(\mu\) est un nombre irrationnel. Le feuilletage \(\mathcal I\) admet une structure de translation transverse, dont l’holonomie le long de toute courbe est la translation par l’intégrale de \(\omega\).

Considérons quatre courbes fermées simples disjointes \( c_1,c_2,d_1,d_2 \), transverses au feuilletage \(\mathcal I\), et telles que

\[ \int _{c_1} \omega =1 ,\ \int _{c_2} \omega = \lambda, \ \int _{d_1} \omega = \lambda,\ \int _{d_2} \omega = 1.\]

Puisque ces courbes sont transverses, le feuilletage \(\mathcal I\) est au voisinage de ces courbes le produit d’un disque par la courbe. On peut donc enlever des voisinages tubulaires de chacune des courbes, et les recoller deux à deux de la façon suivante : on recolle le bord du voisinage de la courbe \(c_1\)  (resp. \(d_1\)) avec celui de la courbe \(c_2\) (resp. \(d_2\)) en utilisant un difféomorphisme qui préserve le feuilletage (tout en inversant l’orientation des feuilles), et qui est transversalement une application affine, de pente \(\lambda\) (resp. \(1/\lambda\) ). Nous obtenons alors un feuilletage transversalement affine sur une variété fermée \(M\) : il s’agit de notre feuilletage \(\mathcal G\). L’existence des courbes \(c\) et \(c’\) est facile. Considérons un point \( p_1 \) dans le voisinage tubulaire de la courbe \(c_1\) et son image \(p_2\) dans le bord du voisinage de la courbe \(c_2\) par le difféomorphisme de recollement. Comme les feuilles de \(\mathcal I \) sont denses, on peut trouver un chemin plongé reliant \(p_1\) à \(p_2\) qui évite les intérieurs des voisinages tubulaires des quatre courbes \(c_1,c_2,d_1,d_2\), et qui est transverse à \(\mathcal I\) — plus précisément sur lequel \(\omega\) est strictement positive. Ce chemin définit une courbe fermée simple dans \(M\) dont l’holonomie est une transformation affine de pente \(1/\lambda\). On fait la même construction en utilisant le couple \((d_1,d_2)\) pour la construction de la courbe \(c’\), puis on prend des perturbations de \(c\) et \(c’\) pour les rendre disjointes.

 

 

Livre ouvert, suite

Je ne sais pas comment il sera possible de « voir » ce feuilletage de Reeb, car le feuilletage de codimension un transversalement dyadique ne me semble pas forcément évident à programmer : il s’agit du « feuilletage stable faible » du champ gradient de log-norme.
En ce qui concerne la notion de livre ouvert, tu peux généraliser à toutes les dimensions. En dimension 3 tu connais. En dimension qcq il s’agit d’une fibration sur le cercle en dehors d’une sous-variété de codimension deux appelée la reliure ; la fibration au voisinage de la reliure étant localement donnée par
\[ (x,z=r\cdot\text{exp}^{i\theta}) \longmapsto \text{exp}(i\theta) \]
dans des coordonnées \( (x,z) \in \mathbf{D}^{n-2} \times \mathbf{D}^2 \). La reliure est alors donnée par \( z=0 \). Cette notion existe d’ailleurs sur les surfaces même si la terminologie n’est pas très parlante dans cette dimension.
Dans notre cas, on a pas une fibration mais un feuilletage de codimension un avec une dynamique transverse dyadique assez riche, donc j’ai exagéré en disant qu’il s’agit d’un livre ouvert. Néanmoins, il possède la même structure locale au voisinage de la surface de Bogomolov B : au voisinage de tout point de B privé de B le feuilletage est donné par les niveaux d’applications à valeurs dans le cercle donnée par la même formule que plus haut, qui sont bien définies modulo post-composition par un élément du groupe de Thompson. Il y a donc une représentation de monodromie (à la différence d’un livre ouvert standard), qui associe à un élément du groupe fondamental de B un élément du groupe de Thompson. Il s’agit bien évidemment de la représentation dont on a parlé plusieurs fois !
Dernière remarque : la classe de Godbillon-Vey discrète de cette représentation sera égale au nombre de singularités fois la classe de GV discrète du feuilletage de Reeb de \(\mathbf{S}^3\). Ceci résulte de l’existence du feuilletage de codimension un transversalement dyadique défini sur \( \mathbf{P}^2(\mathbf{C} \setminus (\text{sing}(\mathcal{F} \cup B) \), ainsi que de l’invariance de GV par bordisme. Par contre, je n’arrive pas encore à bien comprendre comment on calcule GV pour les feuilletages de codimension un transversalement dyadiques, à la façon d’une intégrale explicite comme pour l’invariant de GV classique. Il y a un petit travail à faire ici…
On s’éclate bien 😊 !

Livre ouvert et feuilletage de Reeb sont Jouanolou

Tu te souviens on avait discuté du fait qu’il existe sur l’espace total du modèle, privé des singularités ainsi que de la surface de Bogomolov, un feuilletage de codimension réelle un qui est transversalement dyadique. Il s’agit du feuilletage qui est « responsable » de l’existence de nos représentations de « monodromie » à valeurs dans le groupe de Thompson. Et bien, ce feuilletage est absolument magnifique :

  1. d’abord, au voisinage de la surface de Bogomolov, il admet la structure d’un livre ouvert. Etant dyadique, on retrouve de cette façon notre représentation à valeurs dans Thompson. Tu voies ce que je veux dire?
  2. de plus, devine quelle est la structure de ce feuilletage au voisinage des singularités hyperboliques ? Réponse : le produit du feuilletage de Reeb « classique » avec une demi-droite réelle, la structure dyadique étant la structure standard sur le feuilletage de Reeb. Joli non? En particulier, il est transverse à de petites sphères autour des singularités, et induit sur ces dernières le feuilletage de Reeb.

A un moment l’année dernière j’avais imaginé que 2. pourrait être vrai, puis je m’étais ravisé et convaincu du contraire, à cause d’une mauvaise vision du flot gradient du log de la norme. Mais en fait c’est bien vrai il me semble, génial !